Voyage en pays perse : le désert Xénophon, Anabase (Ἀνάβασις), I, 5
[1] Ἐντεῦѳεν ἐξελαύνει διὰ τῆς Ἀραβίας, τὸν Εὐφράτην ποταµὸν ἐν δεξιᾷ ἔχων, σταѳµοὺς ἐρήµους πέντε παρασάγγας τριάκοντα καὶ πέντε. Ἐν τούτῳ δὲ τῷ τόπῳ ἦν µὲν ἡ γῆ πεδίον ἅπαν ὁµαλὲς ὥσπερ ѳάλαττα, ἀѱινѳίου δὲ πλῆρες εἰ δέ τι καὶ ἄλλο ἐνῆν ὕλης ἢ καλάµου, ἅπαντα ἦσαν εὐώδη ὥσπερ ἀρώµατα δένδρον δ οὐδὲν ἐνῆν,
[1,5] L armée passa ensuite en Arabie, et avec l Euphrate à sa droite, fit en cinq jours trentecinq parasanges dans un pays désert, plat comme la mer et couvert d absinthe. S il s y trouvait d autres plantes ou cannes, toutes étaient odoriférantes et aromatiques ; mais il n y avait pas un arbre. L extrait se situe au début de l Anabase : Cyrus le Jeune, second fils de Darius II, organise une expédition afin de renverser son son frère Artaxerxès II en 401. Ayant engagé plus de 10 000 mercenaires grecs, il fait route vers l intérieur de l Empire pour affronter les troupes du Grand roi à Cunaxa (Mésopotamie). Parmi les 10000 hommes, un Athénien, Xénophon. MACÉDOINE THRACE Athènes Corinthe Sardes MER Sparte ÉGÉE MEDITERRANÉE ÉGYPTE CARIE P O N T - E U X I N CAPPADOCE ARMÉNIE ASSYRIE SYRIE Euphrate Tigre Counaxa BABYLONIE ARABIE MER CASPIENNE Suse
[1,5] L armée passa ensuite en Arabie, et avec l Euphrate à sa droite, fit en cinq jours trentecinq parasanges dans un pays désert, plat comme la mer et couvert d absinthe. S il s y trouvait d autres plantes ou cannes, toutes étaient odoriférantes et aromatiques ; mais il n y avait pas un arbre. Le passage en Arabie (région désertique devant correspondre en réalité à la Mésopotamie, plus précisément la province perse d Assyrie, puisqu ayant l Euphrate à sa droite, l armée progresse vers le sud-est) coïncide avec l entrée dans un type de paysage complètement différent de ce qui pouvait être familier à un Grec. Les hommes parcourent cinq parasanges (unité de distance achéménide. 1 frasang = 5328 m, donc ici la distance parcourue est d environ 36 km), soit 210 km en cinq jours. Le désert est très simple et très efficacement décrit comme une plaine vide (πεδίον ἅπαν ὁµαλές) et plat comme la mer (le référent idéal pour un Grec). Dans une grande partie du passage, l auteur s attache à décrire l inconnu avec le lexique du familier.
[1,5] L armée passa ensuite en Arabie, et avec l Euphrate à sa droite, fit en cinq jours trentecinq parasanges dans un pays désert, plat comme la mer et couvert d absinthe. S il s y trouvait d autres plantes ou cannes, toutes étaient odoriférantes et aromatiques ; mais il n y avait pas un arbre. La flore est ce qu il y a de plus proche de ce que connaît le paysage grec : l absinthe, plante d Artémis (artemisia absinthium), originaire d Europe et d Asie, pousse aussi très bien dans les régions désertiques (très répandue dans le Maghreb), de par son acclimatation en milieu sec. On note que Xenophon ne donne pas d autre nom de plantes : elles sont de type aromatique (ce qui se remarque facilement), mais d espèces différentes de celles qui se rencontrent en Grèce. L auteur détermine donc une formation végétale d un type inconnu : plantes aromatiques, mais pas de végétation haute de type forestier (arbres). On peut penser ici à la batha de Méditerranée orientale (Syrie) caractérisée par des buissons souvent épineux en terrain aride.
[2] ѳηρία δὲ παντοῖα, πλεῖστοι ὄνοι ἄγριοι, πολλαὶ δὲ στρουѳοὶ αἱ µεγάλαι ἐνῆσαν δὲ καὶ ὠτίδες καὶ δορκάδες
[2] Quant aux animaux, les plus nombreux étaient les ânes sauvages. On voyait aussi beaucoup d autruches. Il s y trouvait encore des outardes et des gazelles. Xénophon aborde rapidement la faune, ce qui lui permet d en revenir aux hommes dans cette aventure. Le principal problème est en effet le ravitaillement et la faim. Les espèces animales sont plus faciles à nommer. Il existe de nombreuses espèces d outardes, sur plusieurs continents de l ancien monde. On rencontre au Moyen orient (Iraq, Arabie) l outarde houbara, qui semble correspondre au signalement donné dans l Anabase. Les autruches, que l on trouve actuellement principalement en Afrique étaient originaires d Asie du sud-ouest.
ταῦτα δὲ τὰ ѳηρία οἱ ἱππεῖς ἐνίοτε ἐδίωκον. Καὶ οἱ µὲν ὄνοι, ἐπεί τις διώκοι, προδραµόντες ἕστασαν πολὺ γὰρ τῶν ἵππων ἔτρεχον ѳᾶττον καὶ πάλιν, ἐπεὶ πλησιάζοιεν οἱ ἵπποι, ταὐτὸν ἐποίουν, καὶ οὐκ ἦν λαβεῖν, εἰ µὴ διαστάντες οἱ ἱππεῖς ѳηρῷεν διαδεχόµενοι. Τὰ δὲ κρέα τῶν ἁλισκοµένων ἦν παραπλήσια τοῖς ἐλαφείοις, ἁπαλώτερα δέ.
Les cavaliers donnaient quelquefois la chasse à ce gibier. Les ânes, lorsqu on les poursuivait, gagnaient de l avance et s arrêtaient, car ils allaient beaucoup plus vite que les chevaux. Dès que le chasseur approchait, ils répétaient la même manœuvre, en sorte qu on ne pouvait les joindre, à moins que les cavaliers, se postant en des lieux différents, ne les chassassent avec des relais. La chair de ceux qu en prit ressemblait à celle du cerf, mais était plus délicate. La faim fait que les hommes de Cyrus tentent de se ravitailler sur place. Cela permet à Xénophon, qui sera plus tard l auteur d un ouvrage sur la chasse, de varier sa description en fournissant une sorte de petit reportage sur le comportement du gibier. Les ânes ne peuvent être attrapés que s ils sont rabattus d un cavalier à un autre. L âne en question est probablement l âne sauvage, hémione ou onagre (ὄνος ἄγριος), d Asie, qui peut effectivement courir aussi vite qu un cheval de cours (près de 70 km/h). Les Grecs ne connaissent pas cet animal, d où l indication concernant la chair de l âne sauvage, comme saveur «exotique».
[3] Στρουѳὸν δὲ οὐδεὶς ἔλαβεν οἱ δὲ διώξαντες τῶν ἱππέων ταχὺ ἐπαύοντο πολὺ γὰρ ἀπέσπα φεύγουσα, τοῖς µὲν ποσὶ δρόµῳ, ταῖς δὲ πτέρυξιν αἴρουσα, ὥσπερ ἱστίῳ χρωµένη. Τὰς δὲ ὠτίδας ἄν τις ταχὺ ἀνιστῇ ἔστι λαµβάνειν πέτονται γὰρ βραχὺ ὥσπερ πέρδικες καὶ ταχὺ ἀπαγορεύουσι. τὰ δὲ κρέα αὐτῶν ἥδιστα ἦν.
[3] Personne ne put attraper d autruches. Les cavaliers qui en poursuivirent y renoncèrent promptement, car elles s enfuyaient en volant au loin, courant sur leurs pieds, et s aidant de leurs ailes étendues, dont elles se servent comme de voiles. Quant aux outardes, en les faisant repartir promptement on les prenait avec facilité ; car elles ont, comme les perdrix, le vol court et sont bientôt lasses. La chair en était exquise. L autruche peut être plus rapide que le cheval, pendant peu de temps. Sans voler, elles peuvent prendre de l élan avec leurs ailes pour se dégager de l emprise de leur prédateur. Les outardes sont, comme précédemment, évoquées en comparaison avec une espèce courante et bien connue des chasseurs en Grèce, la perdrix.